Les erreurs médicamenteuses : un enjeu de sécurité mondial

Cette année, la PAQS s’engage à soutenir les institutions de soins dans la mise en place de projets d’amélioration sur 3 thématiques prioritaires identifiées par le secteur, en utilisant la méthodologie de l’amélioration continue. La première de ces thématiques est « La gestion des médicaments ».​ 

Mais pourquoi ce sujet spécifique ? Quels sont les enjeux et les défis qui sous-tendent cette thématique ? Dans cet article, nous explorons les raisons qui font de la gestion des médicaments un sujet crucial.

Les erreurs médicamenteuses (EM) sont un enjeu de santé publique important auquel les systèmes de santé tentent de répondre depuis de nombreuses années. L’erreur médicamenteuse peut concerner une ou plusieurs étapes du circuit du médicament (la prescription, la préparation galénique, la délivrance, l’administration et le suivi thérapeutique) mais également les interfaces telles que les étapes de transmissions ou les transcriptions et entraîner des conséquences plus ou moins graves pour le patient, de l’erreur sans dommage au décès du patient. Celles-ci impactent également les systèmes de santé, en prolongeant la durée d’hospitalisation, en augmentant la morbidité et la mortalité des patients et en générant un surcout dans les budgets alloués à la santé. [1][2][3]

La classe d'événements indésirables la plus fréquente

Les chiffres relatifs à la fréquence des erreurs médicamenteuses sont très variables selon les définitions utilisées, mais les données de la littérature sont concordantes avec le fait que ces erreurs seraient la classe d’évènements indésirables la plus fréquente dans tous les milieux de soins. Selon une revue systématique réalisée en 2019, 25% des évènements indésirables associés aux soins seraient attribués aux médicaments.[4] 

25% des événements indésirables associés aux soins seraient attribués aux médicaments

Selon les études réalisées en milieu hospitalier, on estime qu’environ 4.8 à 5.3% des patients hospitalisés subiraient une erreur médicamenteuse, avec une variabilité significative entre les différents services : les soins intensifs sont les plus touchés tandis que les services d’obstétrique sont les moins affectés [5] [6] [7]. D’autres études mettent également en lumière la fréquence des erreurs médicamenteuses dans les soins primaires et les soins de longue durée. [8][9] D’une manière générale, 1% de ces erreurs entraînent des événements indésirables graves qui sont considérés comme évitables[10]. Les EM peuvent survenir à n’importe quelle étape du circuit du médicament, lors de sa prescription, de sa délivrance, de son stockage, de sa préparation ou de son administration. Environ 80% de ces erreurs se produisent lors de la prescription (39%) et de l’administration (38%) tandis que les 20% restant se produisent lors de la transcription et de la vérification (12%) ainsi que lors de la distribution (11%).[11]

4.8 à 5.3% des patients hospitalisés subiraient une erreur médicamenteuse. 

 Découvrir comment la PAQS vous accompagne

Des coûts non négligeables

Sur le plan économique, les coûts associés aux EM ne sont pas négligeables. En effet, plusieurs études, dont l'enquête ENEIS en France, ont montré que les EM survenant à l’hôpital augmentent en moyenne de 7 jours la durée d’hospitalisation ce qui implique un coût humain et financier lié à l’allongement du séjour à l’hôpital[12]. Une autre enquête réalisée dans deux hôpitaux américains, a permis d’estimer le coût moyen des EM, qui variait entre 2300 à 4685 dollars pour une EM évitable[13]. Une extrapolation des résultats a également été réalisée pour évaluer le coût annuel attribué aux EM évitables : pour un hôpital de 700 lits, ce coût annuel revenait en moyenne à 2,8 millions de dollars. À l’échelle mondiale, on estime à 42 milliards de dollars le coût annuel des EM, soit près de 1% de l’ensemble des dépenses mondiales pour la santé.[14]

Les erreurs médicamenteuses souvent de nature multifactorielle

Les EM sont souvent de nature multifactorielle, impliquant des interactions complexes entre les professionnels de soins, les patients, les systèmes de gestion des médicaments et les processus organisationnels. En effet, plusieurs facteurs de risque peuvent influencer ce phénomène, tels que des problèmes de communication entre les membres de l’équipe, des systèmes d’information inadaptés, le manque de formation du personnel, et des problèmes systémiques tels que le manque de personnel ou l’inefficacité des flux de travail [15]. L’âge du patient (enfants et patients âgés), la polymédication et la polypathologie, le type de médicament administré (ex : médicaments à haut risque et intraveineux), la transition de soins ou l‘environnement de soins (ex. : urgences et anesthésie) ont également été mis en avant comme étant des facteurs contributifs aux EM[16] [17] [18] [19] [20] [21].

La période de transition de soins (entrée et sortie d’un établissement de soins, transfert entre unités de soins ou entre équipe des soins) est une période critique en ce qui concerne les EM. En effet, certaines études soulignent que les EM évitables surviennent principalement aux points de transition de soins [22] [23] [24] [25]. En effet, on estime que plus de 40% des EM surviennent aux points de transition et que, en moyenne, 53% des patients ont une divergence non volontaire à l’admission de l’hôpital (divergence entre le traitement habituel et celui prescrit dans l’institution de soins) et 41% à la sortie de l’hôpital [26] [27].

Les EM surviennent principalement aux points de transition de soins. 

 Découvrir comment la PAQS vous accompagne

Un acte involontaire mais évitable

Une erreur médicamenteuse est définie comme étant "une erreur involontaire dans le processus de traitement médicamenteux, qui porte ou qui a le potentiel de porter préjudice au patient"[28]

L’erreur médicamenteuse est donc un acte involontaire, mais évitable sur lequel nous pouvons agir. Comme mentionné plus haut, le EM sont souvent de nature multifactorielle : la prévention nécessite donc une approche multidimensionnelle, comprenant des interventions organisationnelles et technologiques, tant pour les professionnels de soins que pour les patients[29] [30].

Ces dernières années, les solutions technologiques favorisant la traçabilité et la conformité de la médication tout au long du circuit médicamenteux (ex. : les logiciels d’aide à la décision, les prescriptions informatisées, les systèmes d’administration par code-barres, etc.) ont été considérées comme la solution primordiale pour réduire la survenue d’EM. Bien que certaines d’entre elles ont démontré une amélioration sur le taux d’EM, ces solutions demeurent parfois coûteuses pour les institutions de soins [32] [33]. Cependant, nous pouvons retrouver dans la littérature d’autres interventions dites non-technologiques qui sont également favorables à la réduction des EM (voir tableau 1).

Il n'existe pas une approche universelle pour réduire les EM, mais des solutions à adopter et adapter en fonction de chaque institution de soins. 

Comme pour tous les domaines de la sécurité du patient, il n’existe pas une approche universelle pour réduire les EM, mais des solutions à adopter et adapter en fonction de chaque institution de soins (en prenant en compte leur environnement, leur culture et leur contexte de travail, leurs patients et le type de soins prestés, etc.).

Domaine d’intervention

Interventions [31] [32] [33]

Prescription

  • Formaliser les procédures de prescription
  • Adapter la prescription à chaque patient (prendre en compte les allergies, les comorbidités, les interactions médicamenteuses, l’âge, la taille, le poids du patient, etc.)
  • Interdire les prescriptions orales (sauf dans des cas strictement exceptionnels)

Administration

  • Formaliser les procédures d’administration des médicaments
  • Vérifier l’identité du patient avant l’administration
  • Vérifier concordance patient/médicament/prescription.
  • Appliquer la règle de 5B : Bon patient – Bon médicament – Bonne dose – Bonne voie – Bon moment.
  • Réaliser une double vérification pour l’administration de MHR
  • Éviter les interruptions lors de l’administration
  • Former le nouveau personnel et former l’équipe à tout nouveau produit/dispositif.

Stockage/Rangement

  • Standardiser/harmoniser le stockage
  • Accès sécurisé et stockage séparé pour les MHR.
  • Vérifier régulièrement le stockage/rangement des médicaments.

Autres

  • Réaliser la conciliation médicamenteuse aux points de transitions (admissions, sorties, transferts, etc.)
  • Former et sensibiliser les professionnels aux EM
  • Présence d’un pharmacien clinicien dans les unités de soins
  • Impliquer et éduquer le patient et sa famille
  • Évaluer les pratiques, déclarer les EM et en tirer des enseignements


Ce sujet vous interpelle? Vous intéresse ? 

Inscrivez vous à notre programme d'accompagnement sur cette thématique qui démarre ce 7 juin 

M'inscrire


Vous avez une question ? 

Contactez-nous


Sources

[1] Elliott RA, Camacho E, Jankovic D, Sculpher MJ, Faria R. Economic analysis of the prevalence and clinical and economic burden of medication error in England. BMJ Qual Saf. 2021 Feb;30(2):96-105

[2] Roughead EE, Semple SJ, Rosenfeld E. The extent of medication errors and adverse drug reactions throughout the patient journey in acute care in Australia. Int J Evid Based Healthc. 2016 Sep;14(3):113-22.  

[3] Rottenkolber D, Hasford J, Stausberg J. Costs of adverse drug events in German hospitals--a microcosting study. Value Health. 2012;15(6):868-75

[4] Panagioti M, Khan K, Keers RN, Abuzour A, Phipps D, Kontopantelis E, Bower P, Campbell S, Haneef R, Avery AJ, Ashcroft DM. Prevalence, severity, and nature of preventable patient harm across medical care settings: systematic review and meta-analysis. BMJ. 2019 Jul 17;366:l4185.

[5] Jiménez Muñioz AB, Muiño Miguez A, Rodriguez Pérez MP, Escribano MD, Durán Garcia ME, Sanjurjo Saez M. Medication error prevalence. Int J Health Care Qual Assur. 2010;23(3):328-38.

[6] Elliott R, Camacho E, Campbell F, Jankovic D, Martyn St James M, Kaltenthaler E, Wong R, Sculpher M, Faria R. Prevalence and economic burden of medication errors in the NHS in England. Rapid evidence synthesis and economic analysis of the prevalence and burden of medication error in the UK. Policy Research Unit in Economic Evaluation of Health and Care Interventions. Universities of Sheffeld and York; 2018

[7] Bates DW, Boyle DL, Vander Vliet MB, Schneider J, Leape L. Relationship between medication errors and adverse drug events. J Gen Intern Med. 1995 Apr;10(4):199-205

[8] Ferrah N, Lovell JJ, Ibrahim JE. Systematic Review of the Prevalence of Medication Errors Resulting in Hospitalization and Death of Nursing Home Residents. J Am Geriatr Soc. 2017 Feb;65(2):433-442.

[9] Wittich CM, Burkle CM, Lanier WL.  Medication errors: an overview for clinicians. Mayo Clin Proc. 2014;89(8):1116–25

[10]Bates DW, Boyle DL, Vander Vliet MB, Schneider J, Leape L. Relationship between medication errors and adverse drug events. J Gen Intern Med. 1995 Apr;10(4):199-205

[11] Institute of Medicine (US) Committee on Quality of Health Care in America. To Err is Human: Building a Safer Health System. Kohn LT, Corrigan JM, Donaldson MS, editors. Washington (DC): National Academies Press (US); 2000.

[12] Michel  P, Quenon JL, Daucourt  V, Burdet  S, Hoarau  D, Klich A, et al. Incidence des événements indésirables graves associés aux soins dans les établissements de santé (Eneis 3) : quelle évolution dix ans après ? Bull Epidémiol Hebd. 2022; (13):229-37.

[13] Bates DW, Boyle DL, Vander Vliet MB, Schneider J, Leape L. Relationship between medication errors and adverse drug events. J Gen Intern Med. 1995 Apr;10(4):199-205.  

[14] Aitken M, Gorokhovich L.  Advancing the responsible use of medicines: applying levers for change. Parsippany, NJ: IMS Institute for Healthcare Informatics; 2012

[15] Kavanagh C. Medication governance: preventing errors and promoting patient safety. Br J Nurs. 2017 Feb 9;26(3):159-165.

[16] Mulac A, Taxis K, Hagesaether E, Gerd Granas A. Severe and fatal medication errors in hospitals: findings from the Norwegian Incident Reporting System. Eur J Hosp Pharm. 2021 Nov;28(Suppl 2):e56-e61.

[17]Härkänen M, Vehviläinen-Julkunen K, Murrells T, Rafferty AM, Franklin BD. Medication administration errors and mortality: Incidents reported in England and Wales between 2007 ̶ 2016. Res Social Adm Pharm. 2019 Jul;15(7):858-863.  

[18] Rinke ML, Bundy DG, Velasquez CA, Rao S, Zerhouni Y, Lobner K, et al. Interventions to reduce pediatric medication errors: a systematic review. Pediatrics. 2014;134(2):338–60.

[19] World Health Organization. WHO global patient safety challenge: medication without harm. Geneva: World Health Organization; 2017.

[20] Lehnbom EC, Stewart MJ, Manias E, Westbrook JI. Impact of medication reconciliation and review on clinical outcomes. Ann Pharmacother. 2014;48(10):1298–312.

[21] Regina ML, Vecchié A, Bonaventura A, Prisco D. Patient Safety in Internal Medicine. 2020 Dec 15. In: Donaldson L, Ricciardi W, Sheridan S, Tartaglia R, editors. Textbook of Patient Safety and Clinical Risk Management [Internet]. Cham (CH): Springer; 2021. Chapter 17.

[22] Tong EY, Roman CP, Mitra B, et al: Reducing medication errors in hospital discharge summaries: A randomised controlled trial. Med J Aust 2017; 206:36–39

[23] . Bell CM, Brener SS, Gunraj N, et al: Association of ICU or hospital admission with unintentional discontinuation of medications for chronic diseases. JAMA 2011; 306:840–847

[24] Solet DJ, Norvell JM, Rutan GH, Frankel RM. Lost in translation: challenges and opportunities in physician-to-physician communication during patient hand-offs. Acad Med. 2005;80(12):1094–1099

[25] Rozich JD, Howard RJ, Justeson JM, et al. Patient safety standardization as a mechanism to improve safety in health care. Jt Comm J Qual Saf. 2004;30(1):5–14

[26] Cornish PL, Knowles SR, Marchesano R, Tam V, Shadowitz S, Juurlink DN, Etchells EE. Unintended medication discrepancies at the time of hospital admission. Arch Intern Med. 2005 Feb 28;165(4):424-9.

[27] Wong JD, Bajcar JM, Wong GG, Alibhai SM, Huh JH, Cesta A, Pond GR, Fernandes OA. Medication reconciliation at hospital discharge: evaluating discrepancies. Ann Pharmacother. 2008 Oct;42(10):1373-9.

[28] Goedecke T, Ord K, Newbould V, Brosch S, Arlett P. Medication Errors: New EU Good Practice Guide on Risk Minimisation and Error Prevention. Drug Saf. 2016 Jun;39(6):491-500.  

[29] Partin B. Preventing medication errors: an IOM Report. Nurse Pract. 2006 Dec;31(12):8.

[30] Manias E, Kusljic S, Wu A. Interventions to reduce medication errors in adult medical and surgical settings: a systematic review. Ther Adv Drug Saf. 2020 Nov 12;11:2042098620968309.

[31] Guideline Summary: Medication Safety. AORN J. 2018 Apr;107(4):489-494.

[32] Manias E, Kusljic S, Wu A. Interventions to reduce medication errors in adult medical and surgical settings: a systematic review. Ther Adv Drug Saf. 2020 Nov 12;11:2042098620968309.

[33] Khalil H, Kynoch K, Hines S. Interventions to ensure medication safety in acute care: an umbrella review. Int J Evid Based Healthc. 2020 Jun;18(2):188-211


Partager cette publication